Le cimetière, lieu de toutes les rencontres - Cathy & Leyna

Le cimetière n'était certainement pas l'endroit le plus fréquenté de Belles-Fleurs. C'est pourquoi Cathy était certaine de n'y trouver personne, surtout pas pendant un samedi, en un début après-midi ensoleillé. Elle était donc seule pour pleurer et seule pour couvrir de fleurs une petite tombe de pierre grise. Ses yeux passèrent pour la énième fois sur le nom de la seule personne qui lui pardonnait tout et était toujours là pour elle : Nathan Eliacin, son père.

Cathy essuya une larme qui persistait à dégouliner sur sa joue et sourit. Toujours sourire quand on est triste, disait Nathan, et sa fille comptait bien suivre ce conseil, et au diable ceux qui trouvaient amoral de sourire dans un cimetière. La jeune femme ne s'était jamais souciée de l'avis des autres.

Elle remit en place un œillet qui menaçait de tomber d'un bouquet surchargé et soupira légèrement. Elle avait encore dépensé une fortune chez le fleuriste et vidé son porte-monnaie du peu d'argent qu'elle avait réussi par miracle à économiser. Et par-dessus le marché, elle avait besoin de nouveaux crayons si elle voulait finir cette bande-dessinée un jour. Un éditeur avait vu quelques unes de ses planches et acceptée de la publier, à condition qu'elle soit totalement achevée d'ici un mois grand maximum. Cathy avait donc pas mal de retard à rattraper...

Elle s'assit au bord de la pierre tombale et s'adressa à une photo de son père. « C'est beaucoup plus dur que je ne le pensais, Papa. Toi et moi, on a le même problème : on a beaucoup d’imagination, mais on a du mal à ordonner nos idées. Je comprend mieux, maintenant, pourquoi tu avais autant de mal à terminer tes BD. Et maintenant, tu n'es même plus là pour me conseiller. J'imagine que je suis assez grande pour débrouiller toute seule. » Elle eut un sourire triste et amorça un mouvement pour se relever... puis se rassit aussi sec en entendant un bruit de pas. Il y aurait donc quelqu'un d'autre en train d'errer parmi les morts ? Et si ce quelqu'un l'avait entendue parler toute seule ? Cathy essaya de se remettre debout prestement. « Aïe ! » Trop de précipitation, et le résultat était là : elle s'était tordue la cheville et se retrouvait inconfortablement installée, une fesse sur les pierres et l'autre dans le vide. Ridicule.

Le cimetière, lieu de toutes les rencontres - Cathy & Leyna

La personne qui avait tant surpris Cathy était une jeune fille aux cheveux châtains foncés et au visage angélique, qui accourut aussitôt en s'excusant.
« Désolée, je ne voulais pas vous faire peur. » Ah, bah ça, c'était raté... Mais la jeune fille tendit une main secourable à Cathy, et celle-ci décida de ne pas lui en tenir rigueur. En même temps, elle ne l'avait pas fait exprès. « C'est rien, t'inquiètes, » affirma la rousse en toute mauvaise foi. Elle attrapa la main de la jeune fille et essaya tant bien que mal de lui sourire en se relevant péniblement. « Vous pouvez la bouger ? » fit son interlocutrice.

Cathy lâcha la main de la jolie brune et examina la cheville que celle-ci venait de désigner, en équilibre sur une jambe. La douleur était cuisante, mais elle refluait déjà peu à peu, et la cheville ne semblait pas gonflée. Difficile à voir au travers des tennis bleues qu'elle portait, mais Cathy remua facilement le pied et en conclut qu'elle n'avait pas besoin de consulter un médecin. Et heureusement, parce que celui de Belle Fleur avaient des honoraires... eh bien, pas abominablement élevés, mais largement au-dessus des moyens de la jeune dessinatrice en herbe. Elle sourit donc un peu plus franchement et lança d'un ton guilleret : « Ça va super bien. J'ai plus ma... » Si Cathy avait arrêté sa phrase au beau milieu d'un mot, c'est qu'elle venait de poser délicatement son pied endolori sur le sol. Elle serra les dents et termina : « Plus mal du tout. » Puis elle rit nerveusement et ajouta en tendant la main à son tour : « Cathy. Et toi ? »

Le cimetière, lieu de toutes les rencontres - Cathy & Leyna

Après que Leyna lui ait dit son nom, Cathy laissa le silence s'installer. Pour une fois, elle n'avait pas grand-chose à dire et préférait donc se taire. Ce furent d'affreux croassements rauques qui se chargèrent de remplir le blanc entre les deux demoiselles, et elles levèrent la tête au même moment. Alors que Leyna s'exclamait « Attention ! », Cathy poussa un petit cri de surprise.

Des corbeaux. C'était bien une satanée bande de corbeaux qui leur tombait dessus comme la misère sur le monde. Abasourdie, la rousse ne réagit que lorsqu'elle sentit un bec acéré lui tirer les cheveux tandis qu'une autre s'attaquait à la robe d'un blanc immaculé qu'elle avait acheté à peine une semaine auparavant, au lieu de payer ses dettes auprès du fleuriste. Là, outrée, elle se mit à battre des mains dans tous les sens pour chasser ces sales bêtes qui osaient s'en prendre à elle (et, pire encore, à ses vêtements). Sauf que, dans la mêlée, Leyna la heurta, et, déstabilisée, Cathy manqua de tomber une seconde fois. Heureusement, la jolie brune l'attrapa par le bras, tentant de l’entraîner hors du cimetière, et elle se redressa à temps. Par contre, cette tentative d'échapper à leurs attaquants fut un échec total ; il était quasiment impossible de se déplacer avec des becs et des pattes griffues partout sur le corps. Excédée, couverte d’égratignures, Cathy poussa un cri dépité : « Raaaah ! Mais lâchez-moi, bon sang ! »

Alors, comme par miracle, les corbeaux s'écartèrent petit à petit, laissant enfin les deux jeunes filles respirer. Sans vraiment y croire, la dessinatrice écarta les bras qui protégeaient son visage et scruta le ciel : pas la moindre trace des volatiles. Ils avaient tout simplement disparu, laissant Leyna et Cathy aussi désemparées que soulagées. Avec un petit soupir, celle-ci murmura doucement : « Eh ben. On y a échappé belle. »