|
Sujet: Correspondance de Louis Morel, détenu 061282C ∇ Lettres non envoyées Lun 18 Mai - 1:10 | |
| Correspondance de Louis Morel, détenu 061282C Lettres non envoyées15 août 2010 Pénitencier d’État de Louisiane
Tim,
C’est bête, maintenant que j’ai commencé à écrire, je ne sais plus quoi dire, quoi raconter. J’ai mis la date, le lieu – c’est ridicule de mettre le lieu, comme si je pouvais t’écrire d’ailleurs, prendre ma valise et te rejoindre en Italie, où que tu sois, à l’autre bout du monde. Pourtant j’ai voulu le faire depuis ma première nuit ici, j’ai pensé à tous les mots que je coucherais sur le papier, et à ce moment-là, vraiment, j’avais l’impression que ce serait facile et naturel, et que quand tu lirais cette lettre tu me pardonnerais tout, comme ça, comme si rien ne s’était passé. Comme si on était toujours Timélou, Tim et Lou.
Je ne sais pas si tu me pardonneras un jour, ou si nos chemins se sont séparés pour de bon. Nos chemins… ça fait très solennel pourtant je ne veux pas être solennel, tout était trop solennel, tout, le procès, les audiences, ta dernière visite quand j’étais en détention provisoire, on ne s’était presque rien dit, j’avais l’impression de t’avoir perdu, vraiment perdu, et maintenant le silence, le silence tout le temps, le silence qui détruit tout. Tu sais, je crois que j’ai mérité ce qui m’arrive. Je crois que si c’était à refaire, je changerais tout. Mais tu ne peux pas comprendre. Comment aurais-tu pu comprendre ? Je pense à toi. À toi et à Alma. Mais mes pensées sont toujours tournées vers la maison blanche et la terrasse ensoleillée. Ici, on ne voit plus le soleil. Alors j’imagine. Je me souviens aussi. Un soleil brûlant, je donnerais tout pour pouvoir sortir plus souvent, ici les promenades sont rares et communes. Je ne te décrirai pas les rencontres que j’ai faites. Je m’attendais à ce que ce soit dur, mais pas à ce point-là. Si je te racontais…
Mais je ne te raconterai pas. Pas déjà, pas comme ça. Je ne sais même pas si j’enverrai cette lettre. Tu ne mérites pas ça, tu mérites que je te laisse vivre ta vie, une vie normale, pas une vie comme la mienne. Si j’avais su que ça se finirait comme ça. Tu m’as prévenu, je n’ai pas écouté. Et maintenant je comprends que j’aurais dû. Mais je l’aimais tu sais, je l’aime toujours, un vrai amour qui fait mal, un truc si grand et si fort que je ne pensais pas que ça existait. Tu te souviens quand j’ai été accepté à l’université, en médecine ? Je n’y croyais pas. On avait bossé ensemble, tu me faisais croire – croire, pour moi, c’était finalement croire à l’impossible – que j’y arriverais, et ce soir-là, j’ai reçu la lettre, celle qui disait que je serais médecin un jour. Je ne me rappelle plus bien de la soirée, de la nuit, on avait tellement bu. Mais je me souviens de la joie, indescriptible. La chute a été à la hauteur de cette joie, de cet état de grâce si éphémère. Quand je sortirai, dans trois ans, je serai un homme différent, Tim. Je reprendrai la médecine, tu verras. Je serai celui que tu voyais, que tu as toujours vu en me regardant. Alors que moi, je l’ai longtemps cherché.
Tu me manques, je crois.
Louis |
|