Papa crie. Maman pleure. Et moi ? Moi, je les regarde en me bouchant les oreilles en pensant que peut-être, ils arrêteront quand ils me verront. Évidemment, ils ne le font pas. Jamais. Tous les jours, c'est la même chose avec eux. Je crois que c'est comme ça qu'ils s'aiment, en se disputant. Maman m'a souvent dis que parfois l'amour, c'était compliqué et que ça nous poussait à dire ou faire des choses qu'on ne pensait pas réellement... Ça devait être ça qu'elle essayait de me faire comprendre quand elle me disait de ne pas m'inquiéter. Ils s'aiment tellement qu'ils en font n'importe quoi... Ce n'est pas ce qu'on nous raconte dans les livres ou dans les dessins animés, mais bon, c'est mon père et ma mère, je les aime, ils s'aiment, ça me paraît logique après-tout. J'aurais aimé avoir un petit frère (ou une petite soeur dans le pire des cas) pour avoir quelqu'un avec qui jouer, mais là cette fois maman m'a dit que ça compliquerait trop les choses, qu'on n'avait pas assez de place dans la maison. J'aurai bien partagé mon lit avec quelqu'un moi, il partage bien le leur eux. Comme d'habitude, ils n'ont rien voulu entendre puisqu'à l'heure d'aujourd'hui, j'ai dix ans et je suis toujours fils unique... Puis ils se sont tout naturellement remis à crié.



Papa boit son whisky. Maman fume devant la télé. Et moi ? Moi, je détourne le regard pour éviter d'avoir à affronter cette foutue réalité. Je m'assois sur les marches de l'entrée, je regarde le joint que j'ai entre mes doigts et tire dessus. On a chacun notre façon de se détendre dans la famille. Mon père est alcoolique, on le sait tous, même lui en est conscient, mais hormis le rendre bruyant, ça ne le rend pas vraiment mauvais, je crois. Il n'a jamais levé la main sur ma mère, ni même sur moi d'ailleurs. Il boit, il crie, il nous raconte des conneries... C'est dérangeant parfois, surtout la nuit quand t'essaies de dormir, mais ce n'est jamais vraiment méchant alors on le laisse faire. Ma mère, elle, elle passe ses journées le cul dans le canapé à regardé ses conneries de télé-réalité du matin au soir, une clope à la main. Je ne sais même pas si réellement, elle fume d'ailleurs, elle tient sa Marlboro dans une main et le paquet dans l'autre. On a plutôt l'impression qu'elle l'a laisse se consumer, un peu comme sa vie, je crois... En ce qui me concerne, je ne sais pas trop par laquelle je suis censé commencé. J'ai toujours tout fait dans l'excès... L'alcool. La fumette. La fête. La musique. Les nanas. La drogue. La violence. L'amour. Je n'ai que seize ans, certains croiront que j'exagère, mais c'est faux. J'ai ce caractère qui me pousse à être excessif, sans doute dû à l'exemple que mes parents m'ont donné depuis toujours ou parce que c'est moi qui suis comme ça, c'est tout, je n'en sais rien et je m'en fous. Alors souvent quand je suis "trop" alcoolisé, "trop" enervé ou "trop" en train de planer, je prends ma guitare et je joue. Je noircis des cahiers entiers, de chansons vaseuses et bien trop nulles pour être joué devant qui que ce soit, mais qu'importe ça me permet de redescendre de l'état dans lequel je me suis mis, tout seul, la plupart du temps. Et ce soir, une fois de plus, je regarde mon père accroché à sa bouteille de Whisky comme si c'était devenu sa meilleure amie et ma mère qui regarde le Bachelor, les yeux qui brillent, rêvant que mon père prenne exemple sur ces conneries... Je tire une dernière taff sur mon joint, je me lève, prend la direction de ma chambre, prend un vieux sac de l'armée qui appartenait à mon père, y fourre un maximum d'affaire avant de partir de chez-moi après y avoir jeté un dernier regard. Je ne leur manquerais pas. Ils ne s'inquiéteront pas de mon absence avant plusieurs semaines au moins. J'ai l'habitude de découcher et d'aller où bon me semble avec les potes que je me fais ici et là alors non, je sais que je ne leur manquerais pas.



Les mois sont passés depuis que je suis parti de mon New Jersey natal et je n'ai passé qu'un appel rapide d'une cabine téléphonique à ma mère, qui m'a simplement répondu qu'elle commençait à croire que je m'étais foutu en l'air. Quand je lui ai dit, que j'étais à Los Angeles, étonnamment pour la première fois de sa vie, je l'ai sentie fière de moi au bout du fil. Je lui ai dit que j'allais essayer de percer dans la musique et qu'alors elle me verrait peut-être à la télé, elle a pleuré en suppliant Dieu de m'aider. Je ne savais même pas qu'on était croyant dans la famille, mais quand elle l'a invoqué pour ma réussite, on y croyait presque à sa prière alors je l'ai laissé faire et j'ai souri. On m'a souvent dit qu'ici tous nos rêves les plus fous étaient réalisables alors je tente ma chance. Tous les soirs, je chante. Qu'importe l'endroit, je chante. Je me fais insulter, presque tous les soirs aussi. Mes chansons sont mauvaises, j'en ai conscience, alors j'écris, je griffonne et je recommence. Je vais réussir et passer à la télé pour que ma mère soit fière de moi. Je vis à droite, à gauche. Je n'ai pas vraiment d'endroit à moi alors partout où je vais, je me balade avec ce sac à dos militaire et cette guitare qui ne me quitte jamais... Mais le temps passe à une vitesse folle ici.



J'ai pris quelques années depuis que je suis partie du New Jersey avec mon sac à dos. Ma plume s'est affuté et mes chansons sont de mieux en mieux puisqu'on ne m'insulte plus automatiquement dès que je met à les chanter. J'ai même réussis à intégrer un groupe et on vit tous les quatre dans un appart sombre du centre de Los Angeles. Il ressemble plus à un squat qu'à un réel appartement, mais quand on y est, on fait ce qu'on veut et on est libre. Toutes nos journées se ressemblent ou presque. L'autre jour, on a reçu un appel d'un producteur, il parait qu'on n'est pas trop mauvais et qu'il veut nous faire faire une tournée à travers les États-Unis. C'est peut-être le début de quelque chose, mais en attendant que ça commence...



Le succès de la tournée est au rendez-vous. Les filles montent par dizaine dans le bus de tournée et parfois, il devient ce lieu glauque où tout le monde est nu ou presque, défoncé, piqué ou alcoolisés ou plus personne ne sait ce qu'il fait. Alors, parfois, je pense à mon père et ma mère et je me dis que c'est à cause d'eux que je suis devenue comme ça, ce genre de loque là qui n'arrive plus à se contrôler, qui n'arrive plus à s'arrêter. Je les déteste. Je me déteste aussi. Je suis incontrôlable et je le sais. Je vais me tuer. Ça va mal finir tout ça, je le sens un peu plus à chaque nouveau rail que je sniffe... Je me sens partir un peu plus chaque fois. Ce n'est jamais assez, alors j'en prends chaque fois un peu plus. Je n'arrive pas à imaginer ma vie sans excès. Ce qui pourrait m'être fatal, m'est devenue vitale.



Nadie. Je l'ai rencontré dans les coulisses d'un concert alors qu'une jolie blonde était assise sur mes genoux et que Greg riait comme un dégénéré à mes côtés. Nos regards se sont croisés et sans savoir pourquoi j'ai tout de suite su que j'allais l'aimer. Elle serait ma Bonnie et je serai son Clyde. Ce soir-là, je me suis levé et je n'ai rien mis de plus dans mon nez comme je l'aurai fait autrement. On s'est regardé, on a parlé puis très vite, on s'est embrassé. Plus de passion, que de raisons, notre idylle a vite fait la une des journaux et je pense qu'au fond, c'est ce que je cherchais un peu aussi, car dans ma débauche ma mère serait fière de son fils. Il faisait les gros titres, peu importe ce qu'on disait de lui, on parlait de lui et ça dans notre village, c'était quelque chose de magique. Je n'aurais jamais du entraîner Nadie là-dedans, mais dans cette descente aux enfers dans laquelle j'étais coincé, elle était ma bouffée d'air frais. Trop égoïste pour penser au mal que je lui faisais, je ne pensais qu'à une chose : mon bonheur. Oui, car pour la première fois de ma vie j'étais heureux. Je n'avais plus envie d'être dans l'excès quand j'étais avec elle, je voulais être comme M. tout le monde. Même si j'étais qui j'étais, alors inlassablement je hurlais, je criais, je tapais dans les murs, je buvais puis je hurlais encore sur elle... Je voulais lui montrer à quel point je l'aimais et j'étais en vie après tout ce que j'avais traversé. C'était ma promesse d'éternité que je lui criais, mais ça elle ne le voyait pas. Non avec elle, c'était toujours plus de larmes, toujours plus de drame et de gros titres à scandale. Qu'importe ce qui se disait, combien elle pleurait, ou ce que je lui faisais... Elle serait ma Bonnie et je serai son Clyde. Je sais que j'ai déconné. Souvent. Tout le temps même peut-être...



Les jours passent et se ressemblent de nouveau ou peut-être que le temps s'est arrêté, je ne sais plus à présent. Les gros titres ont crié au scandale quand Nadie est apparu avec des bleus sur le corps. Personne ne me comprend. Personne. Pas même Nadie. Je lui ai dit que j'étais désolé. Je ne voulais pas. Cette fille à cheval sur moi, ce n'était pas ce qu'elle croyait, ce n'était pas si grave, c'était juste comme ça, c'était mon rôle de faire ça. Je suis un rockeur putain de merde ! Pas monsieur, tout le monde. Elle s'attendait à quoi avec moi hein ? Rien que d'en parler ça me fout les nerfs et j'ai les mains qui tremblent. Alors comme d'habitude, elle a crié, j'ai hurlé, elle m'a jeté un verre à la figure alors je lui ai balancé mon poing... Je ne voulais pas lui faire mal, mais c'est arrivé, c'est tout. Je croyais qu'elle et moi, on se comprenait. Une fois de plus, je me suis trompé. J'ai besoin d'un peu de blanche pour me calmer, me faire décoller et oublier... Allongé sur ce canapé dans notre squat, les infos en fond sonore, je suis seul au monde et je pense à la mort. Je tire vers moi le plateau qui est posé sur la table et avec ma carte de crédit, je trace trois longs traits dans le tas de poudre qui reste. L'index gauche sur ma narine gauche, pendant que la droite vient sniffer sa dose. Je suis heureux. Ou presque. Les infos continuent à déblatérer sur l'actualité, la crise économique, le terrorisme ou la guerre. Trop défoncé pour y comprendre quoi que ce soit, mes yeux sont écarquillés et je me mets à rire seul sans pouvoir m'arrêter. Je suis un déchet, même dans cet état, j'arrive à m'en rendre compte. Alors je prends un rail de plus... J'oublierais peut-être un peu plus ce que je suis devenu avec le prochain. La poudre me monte au nez quand j'entends son nom. Nadie Wellington. Overdose. Je lève les yeux et me fige sur place. Je n'arrive plus à rire. Je me lève d'un bond de ce canapé, avant de prendre ce foutue poste de télévision et de le jeter à travers la pièce, fou de rage. Même sans être là, Nadie arrive à me détruire et me rappeler combien je l'ai bousillé elle aussi en chemin. Je m'écroule sur l'un des fauteuils défoncés de notre salon et fais le point sur ma vie tant bien que mal. Je suis malheureux et ça ne changera jamais. Elle était mon paradis, mais j'étais son enfer et ça, elle l'a bien vite compris, je crois. Elle était ma Bonnie, mais je n'étais pas son Clyde. Alors les rails ont continué et le tas a diminué...


Les gars m'ont trouvés inconscient étalés au milieu du salon, je leur ai foutue la trouille parait-il. Nadie va bien. Je suis finalement vivant aussi. J'ai eu ma mère en pleure au téléphone, qui essayait de comprendre comment j'avais pu en arriver là. J'aurais voulu lui hurler que tout était de sa faute et que si j'avais commencé tout ça c'était pour elle... A cause de leur dispute permanente et leur façons de me faire croire que c'était normal et que c'était ça l'amour... J'ai préféré raccrocher plutôt que de la blesser et après avoir parlé longuement avec les gars, j'ai décidé de faire un break. Arrêter les excès. Arrêter la drogue. Arrêter l'alcool. Arrêter la musique. Arrêter tout ce qui est en train de me consumer. Au moins pour un temps... Retrouver Nadie à Belle Fleur. M'excuser d'être entrer dans sa vie pour foutre un tel bordel. Repartir pour le New Jersey peut-être ensuite, je ne sais pas trop... En tout cas, essayer de devenir quelqu'un de bien et oublier cette vie comme si rien de tout ça ne s'était produit si c'est encore possible. On a tous le droit à une seconde chance pas vrai ?