Être le petit dernier d'une famille nombreuse, qui plus est quand tu en es le seul garçon, c'est loin d'être évident tous les jours. En réalité, le plus difficile dans ta situation, c'est plus d'être le seul garçon que d'être le dernier, car du coup, c'est sur tes épaules que repose un grand nombre de choses, comme notamment, la transmission du nom de famille, pour que celle-ci perdure dans le temps. « Je compte sur toi fils. » Cette phrase tu ne l'as que trop entendu et tu frissonnes à la main que ton paternel pose sur ton épaule. Son ton est froid, monocorde, et ça te fait flipper, tu n'aimes pas quand il se met à parler sur ce ton, en général, ça annonce le pire, d'autant que tu sens les vapeurs d'alcool qui émane de tout son être. Comme tous les jours, il a passé la journée dehors, à faire la tournée des bars, à rentrer saoul, à te faire une leçon de morale. « Non, papa, STOP, tu me fais mal. » Tes suppliques et tes larmes ne changent rien, au contraire, elles amplifient les coups, leur violence et ces mots durs qui sortent de sa bouche. « Arrête de geindre Cory, tu es un homme, un homme, ça pleurniche pas, un homme, ça subit sans broncher. » Puis, une fois la colère passée, il repart pour passer la soirée encore dans un bar. À être le seul garçon sur cinq enfants, ton père te voit, te veut, plus grand, plus fort, plus âgé, plus mature, et ce cirque, c'est comme ça depuis que ta mère s'est fait la malle avec un autre mec et a laissé ton père en plan avec cinq gosses en bas âge sur les bras. Heureusement que les deux aînées sont déjà suffisamment grandes pour prendre le relai avec toi et les jumelles. Parce que oui, y'a quatre filles avant toi, et après les jumelles, aucun de tes parents ne voulait encore d'un autre enfant, quatre pisseuses à la maison, c'était déjà bien assez. Toi, toi t'es un putain d'accident, et on te le fait payer. Parait que c'est de ta faute si ta mère s'est barré avec un autre, c'est ce que ton père te remonte en boucle quand il te frappe. Faut bien un responsable, c'est tombé sur ta pomme.

Tu traines dans la rue comme souvent, t'es devenu le petit caïd du coin qui fait sa loi et sème la terreur chez les jeunes. Tu glandes pas grand-chose en cours, juste suffisamment pour passer sans problème, plus par peur des représailles de ton père que par réelle envie de réussir. Ce mec te fou la trouille, ça fait d'ailleurs bien longtemps que tu as cessé de l'appeler papa, maintenant, c'est plus que Jack, et encore, tu te trouves bien gentil d'utiliser son prénom, car il ne mériterait rien d'autre que des noms bien moins glorieux, tel que connard, surnom dont tu es toi-même affublé à l'extérieur. Personne ne connait ton histoire, personne ne sait ce qu'il se passe sous le toit des Morgan, et pourtant, c'est parce que ton géniteur à cette emprise sur toi, que t'es devenu un véritable enfoiré partout ailleurs. « Cory, t'en as pas marre de faire le con comme ça, t'es bien placé pour savoir ce que la violence fait. » Tu roules des yeux vers ta soeur ainée, qui vient de te récupérer une fois de plus au poste de police après une énième bagarre. Oui, elles sont toutes tes ainées, mais là il s'agit de Shelley, la plus grande de vous cinq, une des deux seules à se rappeler et à avoir connu vos parents heureux ensemble, ton père sobre et affectueux. Les jumelles et toi, vous ne connaissez que le côté sombre de cet homme, détruit par le départ de sa femme. Dans une autre vie, tu aurais pu le prendre en pitié, mais au vu de ce qu'il te fait, tes soeurs elles sont spectatrices, étrangement, il ne les a jamais touchés, enfin tant mieux, et des litres d'alcool qu'il s'enfile, désolé, mais tu ne peux pas avoir pitié d'un mec comme ça. T'aimerais lui en retourner une, tu le pourrais au vu de ta carrure, t'es bien plus grand que lui, mais il a tellement la main mise sur toi depuis ta naissance, que t'arrives pas à faire autrement que t'écraser. « Ta gueule Shey ! Ta gueule. Tu ne sais pas, tu ne sais rien. Tu crois peut-être que c'est facile pour moi ? Si je ne dis rien, c'est pour vous protéger, si je ne réplique pas, si je le laisse faire, il n'aura pas envie de se défouler sur vous. Alors s'il te plaît, juste ferme là, et laisse-moi vivre comme je l'entends ! » La jeune femme reste interdite devant ton discours et toi ça te fait sourire. Ouais, tu peux encore les surprendre et ouais, t'es pas complètement un égoïste fini. Même si tu as appris à te faire passer avant qui que ce soit, ça ne veut pas dire que tu ne sais pas porter d'intérêt aux autres. T'es juste très nul pour le montrer et il faut dire que t'as pas envie de le montrer non plus. Toi, tu te complais dans ce rôle du parfait connard de base. T'es craint, t'es respecté, personne ne vient te faire chier.

Mais bordel, qu'est-ce qui t'a pris ? Heureusement que t'as picolé plus que de raison ce soir-là, tu peux feindre n'avoir aucun souvenir de la soirée, quand en réalité, tu te rappelles des moindres détails de ce qui s'est passé avec Zeke. Sa bouche autour de toi, ces gémissements et ces soupirs que tu laissais échapper, ses mains parcourant ton corps, te faisant frissonner. Cette nuit-là, te ne peux pas l'oublier, t'as jamais pris un pied comme ça avec aucune des filles avec qui tu as pu baiser. Seulement, tu ne l'admettras à personne, et surtout pas à ce pédé de Freeman. Toi, t'es pas gay, c'est juste dégueulasse rien que d'y penser. D'ailleurs, t'es bien connu pour être homophobe, alors faudrait pas que ça se sache que t'as couché avec ton voisin, lui bien connu pour être le pédé de service. Non mais la blague, comment tu as pu apprécier ? En fait tu le sais très bien, mais comme t'es fier, tu ne l'avoueras pas, même sous la torture. En fait, t'es bien moins hétéro que tu le prétends, et le Freeman, tu t'es déjà surpris à le mater du coin de l'oeil à plusieurs reprises. Ton père te met la pression, alors comme le fils docile que tu es devant lui, tu joues le jeu. Et puis, ça a un avantage, ça rend ton perso de parfait connard complètement crédible. Connard un jour, connard toujours. Seulement, Zeke, ce crétin, ne peut bien évidemment pas s'empêcher d'essayer de te rappeler ce que vous avez fait et que t'as aimé ça. BORDEL, tu le sais, c'est bon, et tu n'as absolument pas envie que ça recommence. Ah ah, la bonne blague. Il ose venir chez toi, comme un cheveu sur la soupe, t'embrasser sans rien dire, tu ne réagis pas de suite, pris pas surprise, mais tu finis par le rejeter assez violemment en lui lançant un regard lui interdisant de recommencer, poings serrer. « Qu'est-ce que tu crois faire là Freeman ? » Ce con ne comprend pas, cette fois tu ne lui laisses pas le temps et ton poing atterrit dans sa jolie petite gueule d'ange. Tu regretterais presque de la lui abîmer, mais ce n’est pas la première fois que tu le fais et ce ne sera probablement pas la dernière, en même temps, il l'a bien cherché, ce n’est pas comme si tu ne l'avais pas prévenu. Tu lui soutiens que t'es pas pédé toi, il se fou de ta gueule ouvertement, soutenant le contraire et tu sais au fond de toi qu'il a raison ce con, mais tu ne laisses rien paraître. « Je ne suis pas... » T'as pas le temps de répliquer, que ses lèvres ont repris place sur les tiennes, t'es prêt à le repousser encore, mais ses mains savent exactement ce qu'elles font, où aller et l'effet qu'elles peuvent avoir sur toi. Zeke t'a eu, une seconde fois. « Ne recommence plus jamais ça Freeman, ne recommence plus jamais ça chez moi. » Et tu l'embrasses. T'es foutu mec, tu viens de lui laisser comprendre qu'il peut recommencer, juste plus sous ton toit. Non clairement, y'a pas moyen, c'est prendre trop de risque là. Si ton père débarque, il vous tue tous les deux, et toi probablement le premier. Alors comme t'es qu'un connard, tu le dégages de chez toi, quand tu le croises, t'agis toujours comme s'il n'y avait rien entre vous. Mais le Freeman, il t'a eu tout court. Cory, t'es vraiment foutu là.

La pommette violacée et le contour de l'oeil tout aussi foncé, tu rejoins Zeke, faut que tu le préviennes. Tu planques les autres bleus qui décorent ton corps sous un jogging extra large. Tu ne payes pas de mine, mais là tout de suite, tu t'en contrefiches comme de ta première chemise. L'essentiel est que le châtain ne voit pas ce que tu as pris, après que ton père vous a surpris. T'as réussi à le faire partir, à occuper ton père sur ton cas, pour qu'il ne touche pas à Freeman, hors de question, y'a que toi qui a le droit de le toucher, peut importe la façon dont tu le fais. « Zeke. On a un gros problème. » Tu ne le regardes pas, tu ne peux pas, tu n'arriveras pas à lui avouer ce que ton père te demande de faire si tu le regardes dans les yeux. T'arrives pas, ça ne sort pas. Il s'approche de toi, mais tu repousses la main qui était prête à te toucher. « Non, me touche pas. » T'as envie qu'il te prenne dans ses bras, t'en as envie à crever, mais là, non tu peux plus, tu ne peux pas, t'as plus le droit. « Mon père a décidé que je dois me marier, avec une fille peu importe laquelle, pour les apparences, j'ai dit oui. » Tu le regardes encore moins, bien conscient que t'es en train de le blesser d'une manière qui ne te plait pas. Tu ne veux pas le voir souffrir. « J'ai pas envie, mais j'ai pas le choix. » En fait t'es lâche Cory, t'es vraiment un lâche. T'aurais pu essayer pour une fois dans ta vie de te rebeller contre ton alcoolique de père, t'as vingt-deux ans bordel, mais non, c'est la solution de facilité, surtout pour toi, parce qu'au fond, c'est vrai, ce mariage, c'est une super couverture pour ne pas ternir ta petite image d'hétéro, bourreau des coeurs. Et le sien de coeur, tu y as pensé ? Bien sûr que non. C'est toi avant tout n'est-ce pas ? Sauf que, tu rends compte bien vite, que tu ne peux pas te passer de lui non plus. Tu ne sais pas comment vous en êtes arrivé là. T'as toujours fait attention pour que jamais ça ne se produise, alors sur le moment t'as pas compris comment Jack a su, mais le fait est qu'il y a cette vielle bique de Gand' Ma, l'adorable grand-mère du village, qui adore fourrer son nez partout, elle a su pour vous, tu ne sais pas comment d'ailleurs, elle a su et elle s'est senti obligé de prévenir ton paternel. Tu l'as déteste comme jamais tu n'as détesté quelqu'un.