Était-ce mon téléphone qui sonnait ? Cette musique m'avait tout l'air d'être celle de mes rappels. Qu'avais-je bien pu avoir de si peu important à me souvenir pour avoir à mettre un rappel ? À moins que ce soit quelque chose d'extrêmement important... non, ça ne pouvait pas être ça. Je n'avais pas la moindre bonne nouvelle en ce moment, donc à part un rendez-vous à la banque qui me plomberait encore plus le moral... rien d'important, non. Allongé par terre, au milieu des chutes de tissus, Dali dans mes bras et mon nez plongé dans sa fourrure à l'odeur d'Elliot, je me rendormis aussitôt, épuisé par ces interminables et fatigantes nuits qui me déprimaient de plus en plus. Je me réveillai au sursaut au bout de quelques temps. À nouveau, un cauchemar. J'enfonçai encore plus mon nez dans la fourrure de Dali, afin de pouvoir sentir encore plus cette odeur si rassurante. Quelques larmes coulèrent. Il me manquait. Cet abruti me manquait tellement. Pourquoi il avait fait ça, hein ? Pourquoi ? J'éclatai en sanglots. Peu après, j'entendis mon portable sonner. Bordel, allez tous vous faire foutre. De toutes façons vous ne tenez pas à moi, je le sais. J'aurais mieux fait d'y passer... La sonnerie s'arrêta mais juste après, ou presque, j'entendis le portable vibrer. Putain... Lentement, avec grand mal, je me redressai et, Dali toujours dans les bras, je me relevai avant de m'effondrer sur la chaise. J'attrapai le portable et jetai un œil dessus. 3 appels en absence, 9 messages. Tous de Linéa. J'avais oublié de venir la chercher au psy. Je soupirai longuement. Fallait que je m'habille en plus. Je jetai un œil à la perruque rose posée soigneusement sur la table. Pas le courage. Je jetai un œil aux vêtements que je portais. Je soupirai, allai enfiler mes chaussures et partis chercher Linéa. Après un autre appel et six autres sms, je finis par arriver. Mains dans les poches, je partis dans le secteur psychologie de l'hôpital. À la moitié du couloir, je vis Linéa se lever d'un bond. Affligeant. « Ça y est, t'as fini de me harceler ? », soupirai-je en continuant de la rejoindre. « T'es pas capable de rentrer seule ? T'as peur de te perdre ? » Vivement que je rentre chez moi.

Cette façon de regarder ses pieds… Ça me rappelait tellement Linéa. La vraie Linéa, ma meilleure amie, la fille que j’avais rencontré dans un restaurant où mon père et Eléonore m’avait emmené avec Quitterie et Charles-Antoine. Si je n’y avais pas été traîné, je serai peut-être passé à côté d’une très bonne amitié, mais j’aurais également évité d’être si souvent à la limite de la crise de panique. “D-D-Désolée ! Je ne voulais pas te déranger je t'assure ! C'est juste que... C'est toi qui m'a amenée alors je n'ai pas ma voiture ... Désolée !” Mais bien sûr. Elle se foutait de moi ou quoi ? « T’es pas capable de rentrer à pieds ? On n’est pas non plus venu en voiture je te rappelle ! Tu m’as déjà vu dans une voiture ? Non. Pourquoi à ton avis ? Parce que je n’ai pas le permis ! » Et accessoirement parce que jamais on ne me fera monter dans une voiture. Mais ça, si elle avait un tant soit peu de mémoire, elle se souvenait que c’était prendre le risque que je fasse une crise de panique. « Tu te fous de moi, c’est ça ? » J’attendis une réponse, en vain. Je soupirai et commençai à partir. « Dépêche-toi, je n’ai pas que ça à faire. », marmonnai-je d’un ton presque agressif. "Mr. De Lesquen ! Pourrais-je vous voir un instant vous et Mademoiselle Salvatore ? Ca ne sera pas long." Bordel ! Mais ils étaient tous ligués contre moi ou quoi ? Linéa, cet abruti de psy… « Non, vous ne pouvez pas. Y en a qui travaillent. » J’avais eu un jour de vacances forcées mais ça il ne le savait pas. J’attrapai brutalement le poignet de Linéa et commençai à la tirer hors du couloir, avec tout sauf douceur, priant pour que le psy n’insiste pas pour nous voir. Et puis de toutes façons, qu’est-ce qu’il pouvait bien avoir à me dire ? Je n’avais rien à faire de Linéa donc ça n’allait sûrement pas être moi qui allait lui apporter une quelconque aide.

“Vous ne semblez pas comprendre monsieur de Lesquen, l'état psychologique de votre amie… Elle est fragile, on ne peux pas la laissez sortir sans surveillance constante, c'est pourquoi je recommande l'isolement provisoire.” Mon amie ? Quelle amie ?, eus-je envie de répliquer. Cependant, je pris sur moi et continuai d’ignorer le psy. Rien à faire de l’état psychologique de “mon amie”. Et mon état psychologique à moi, qui s’en souciait, hein ? Personne. Parce que je n’en valais pas la peine, après tout, je n’étais qu’un enfant illégitime, un ancien drogué, un poids pour ma famille incapable d’étudier correctement. J’ai redoublé deux classes, alors que je faisais de mon mieux pour suivre en classe. Et encore aujourd’hui, je restais un poids, incapable de gagner assez d’argent pour vivre normalement. Alors rien d’étonnant que personne n’essaie d’aller au delà de mon visage impassible. "Je refuse. Je vais très bien." Je réalisai que je ne tenais plus le poignet de Linéa. Je me retournai et la vis effondrée par terre. C’est pas vrai… ! Comment pouvait-on être si faible ? "Je vous laisse réfléchir... En attendant je vais chercher les formulaires..." Je la regardai se relever d’un air lassé. Je lui empoignai de nouveau le poignet et recommençai à la tirer dehors, encore plus brutalement qu’avant. Mon bras tremblait un peu mais j’essayai de ne pas y penser. Isolement provisoire, comme si qu’elle avait les moyens pour payer ça… c’était vraiment dommage car ça m’aurait permis de me débarrasser d’elle et de récupérer l’accès à son compte bancaire. “Eh ! Que faites-vous ?!" Je me retournai d’un coup. Le psy était revenu, avec ses fameux formulaires. « On s’en va, ça ne se voit pas ? Allez vous faire foutre avec vos putains de papiers, on a autre chose à faire ! » Tous les mêmes, à d’abord penser à leurs revenus qu’aux autres. Que ça soit la meilleure chose à faire ou non, la question de signer les papiers ne se posait pas. Ni Linéa, ni moi n’avions assez d’argent pour payer l’isolement. On n’était plus en France.

" Camille...regarde moi... Une fille comme moi ne mérite rien. Hein ? Je me retournai vers elle. « Quand ai-je dit le contraire ? », lançai-je avec un regard noir. Elle fit ensuite demi-tour, bousculant toutes les personnes qu’elle croisait. Faut que je la suive, c’est ça ? Bordel… j’ai autre chose à faire que courir après une morte. Mais d’un côté si elle disparaît et que je ne la retrouve pas… je perdrais une importante source de revenus. Un temps partiel ça ne paye pas beaucoup. Et je ne veux pas retourner sur le trottoir maintenant. C’est trop difficile d’avoir à faire ça, même si ça rapporte beaucoup sans trop de soucis. C’est psychologiquement que c’est dur. Ça détruit à l’intérieur. Laisser Linéa s’enfuir, c’est laissé mon aide financière s’enfuir. Je me mis donc à sa poursuite. Elle arriva devant… la morgue. Je me stoppai net en voyant l’indication du lieu. Des… des morts. Des vrais. Sans vie. Il fallait que je me ressaisisse. Hors de question que ma phobie soit mise à jour. Et de toutes façons, il n’y avait pas de raison que cette fois je panique vraiment. J’arrivais toujours à empêcher la crise de panique de se produire. Au bout de quelques minutes, je fus plus ou moins calmé. Linéa était étalée par terre, levant la tête vers le panneau que mon regard évitait soigneusement. Je m’approchai d’elle et la relevais. « T’es abrutie de te sauver comme ça ou quoi ? », soupirai-je.

"Mais lâche moi à la fin ! Tu me fais mal depuis tout à l'heure ! Et puis je croyais que tu étais d'accord avec le fait que je ne mérite rien, alors que fais tu ici ?" Je ne vais quand même pas lui répondre qu'en dehors de la voir comme une fille repoussante et infréquentable parce qu'elle se croit morte, elle n'est pour moi qu'un porte-monnaie ambulant ? J'en peux plus de tout ça... J'aurais tellement, tellement aimé avoir réussi à me suicider. Pourquoi est-ce quand on veut mourir on n'y arrive pas alors que quand on ne le veut pas on meurt quand même ? C'était tellement injuste. Mon regard se reposa involontairement sur la porte, cette horrible porte griseâtre. Il me semblait même sentir une odeur désagréable à travers. D'ailleurs, c'est assez bizarre, mais, sans vouloir être mauvaise langue, il y avait une odeur semblable chez Linéa. Allez savoir pourquoi. Elle cachait peut-être des cadavres dans son placard. Ça ne m'étonnerait même pas. Après tout, on parle bien d'une folle. Qu'importe, ce n'était, pour une fois, pas le problème. Non, le problème, c'était ce qu'il y avait derrière cette porte... Des... des morts... Le sol commençait à se dérober sous mes pieds et ma respiration à s'accélérer. Des gouttes de sueurs coulaient dans mon dos et j'avais l'impression de trembler. Partir. Vite. Cacher tous ces symptômes. Vite. Partir. Vite. Comme dans chaque situation extrême, je pris des mesures d'urgences. Je passai mon bras autour des épaules de Linéa et l'emmenai loin d'ici. « Allez, tais-toi et arrête de raconter n'importe quoi. On s'en va. », déclarai-je du ton le plus doux et calme dont j'étais capable. Notre chemin croisa celui d'une sortie. Je me hâtai de m'y diriger et enfin je pus respirer de l'air frais. Sitôt sortis, je retirai mon bras des épaules de Linéa, luttant pour ne pas poser un regard dégoûté sur mon bras nu qui avait touché ses vêtements.

« D-Désolé... Je te suis. » C'est ça, excuse-toi. Qu'est-ce que ça pouvait bien me faire ? Si tu veux vraiment que je te pardonne d'être devenue ainsi, il allait falloir en faire plus. Redevenir comme avant serait un bon début. Mais, même ainsi, la seule façon que je lui pardonne serait que l'on efface ma mémoire. J'aimerai oublier les dernières années, mais en même temps, devenir amnésique me fait peur. Oublier Elliot m'effraie... pourtant, je le sais, il fallait que je passe à autre chose. Cependant, comment oublier ? Comment oublier que pour la première fois de ma vie, quand il était encore avec moi, j'étais prêt à tout pour quelqu'un d'autre que moi, y compris prêt à abandonner le stylisme s'il me l'avait demandé ? Ma vie n'avait plus de sens désormais. Je ferai mieux de me suicider. Mais même ça, je n'en n'étais pas capable. Je m'étais raté et n'avait pas recommencé depuis. Juste parce que la religion dans laquelle j'avais grandi me l'interdisait. J'avais beau prier tous les soirs, je n'étais pas sûr d'être croyant. S'il y avait quelqu'un là-haut, il ne laisserait pas tant de personnes galérer comme je le faisais. « Ça te dérange si on s'assoit un peu ? Au fait, je n'ai pas eu le temps de te le faire remarquer avec tout ça mais...ta tenue est classe.  » Je posai un regard vague sur elle, puis sur ma tenue, un haut dont les manches étaient retenues par des pinces, avec un jean déchiré et des rangers que j'avais eu en occasion, à trente dollars. « Hm ? Merci. », dis-je d'un ton neutre, en m'asseyant sur le rebord du trottoir, le plus loin possible de Linéa mais assez proche pour qu'elle ne se rende compte de rien. Regard baissé, je regardais mes mains trembler. Il fallait qu'elles arrêtent ça tout de suite... je les planquai dans les poches de ma veste, histoire de camoufler mes tremblements. Il fallait que je me calme. Tout de suite.

Inspirer, expirer, calmement... je m'efforçai de me concentrer sur ma respiration, et uniquement ça. C'était moi, ou bien ma vue se floutait ? Aïe... je pensais avoir réussi à éviter la crise de panique mais si ça continuait comme ça j'allais devoir y passer. Je voulus me lever histoire de laisser Linéa en plan pour aller paniquer à l'abri des regards, mais même assit ma tête tournait. Tant pis. J'allais bien réussir à me calmer. Combien de fois j'avais frôlé d'encore plus près l'attaque d'angoisse lors de l'une de ses crises ? Si j'avais survécu face à une fille qui assurait être morte et vouloir se suicider pour prouver qu'elle continuerait de ''vivre'' encore une fois, j'allais survivre cette fois aussi. Les minutes passèrent et mon état, lentement mais très certainement, s'améliorait. "Tu peux pas faire gaffe à ton rat poilu là ?! Abruti !" Je sursautai en l'entendant hurler et soupirai. De nouveau calme, je me retournai brusquement vers Linéa et le propriétaire du chihuahua qu'elle venait de pousser par terre. Pauvre bête. « Bordel, tu peux pas la fermer, Linéa ?! Laisse ce passant et ce chien tranquille ! » Je me relevai et, ne trouvant pas d'autre alternative, je lui attrapai le poignet, m'excusai à sa place – ce qu'elle ne me fait pas faire c'te fille... ! – et la tirai une dizaine de mètres. « Qu'est-ce que tu veux, à la fin ? T'en as pas marre de faire chier tout le monde, y compris des parfaits inconnus qui ne t'ont strictement rien fait ?!! » Qu'ai-je fait pour devoir la supporter ?