J'avais un travail à finir pour la semaine dernière. Des recherches sur Modigliani. Je ne les ai pas faites, l’envie ne m’était pas venue. De toute façon, je travaille seulement quand je suis inspirée.

Ce soir c’est les « Nocturnes »; une fois par mois, le musée ferme plus tard que prévu, aux alentours de minuit, j’ai entendu dire. Autour d’un banquet, pour les invités d’exception et au son d’un groupe de jazz dont les morceaux sont diffusés dans l’ensemble du bâtiment, pour les visiteurs lambda. De toute façon, je rentrerai avant 22 heures.

Ces soirées sont comme une tradition pour moi. Malgré les galeristes qu’on entend glousser à travers les étages, après quelques coupes de champagne, j’apprécie réellement passer mes fins d’après-midi ici. J’ai l’habitude de participer à ces évènements avec mes grands-parents et ce depuis que je suis petite, mais ce soir, ils n’ont pas pu venir avec moi. Je crois que c’est car ils préféraient rester dans le confort de leur logis. Tant pis, j’ai du travail à faire moi, de toute façon.

J’ai entendu dire que le musée avait emprunté le portrait de Béatrice Hastings il y a quelque temps de cela, alors je compte bien exploiter ce que j’ai tout près de chez moi pour rendre un travail potable et étouffer ce long délai en espérant que je ne me fasse pas réprimander et que cela ne fasse pas flancher mes notes.

L’ambiance n’est pas particulièrement mondaine, il y a des personnes parfaitement banales, tout comme moi. Même si j’ai sorti une tenue habillée pour l’occasion, je reste candide comme à mon habitude et je compte bien faire bon usage des 15 dollars que m’ont coûté l’entrée.

Alors me faufilant dans les interminables couloirs, parfois me cognant à quelques visiteurs, je parviens à accéder à la section dédiée à la peinture du XXe siècle.
Arrivée devant le portrait, se sors mon bloc-notes et je commence à griffonner quelques mots sur ce que je ressens en voyant la peinture. C’est beau: doux et fort à la fois. On reconnait parfaitement la patte de Modigliani sur ce tableau, c’est comme si on avait intercepté Béatrice dans la rue. Il y a une spontanéité dans son dessin qui est inégalable et absolument touchante. Je corrige deux, trois fautes et relève mon visage pour apprécier l’œuvre plus en détail.

Que pensent les gens ? Est-ce qu’ils ressentent la même chose que moi en voyant ces traits longilignes ?