7 AOUT 1990, 3:47 AM.
L'hôpital d'Amsterdam en avait vu passer des futurs parents stressés, mais jamais il n'avait eu à faire avec un couple comme les Ryder. La jeune femme, vingt-deux ans, blonde comme les blés, vulgaire comme jamais et le bonhomme, vingt-trois ans au compteur, beau brun aux yeux bleus qui semble débarquer tout droit de Mars. Certains disent qu'il est posé, qu'il contraste avec cette belle américaine. D'autres disent qu'il plane à 15 000 quelque soit l'heure de la journée ou de la nuit. « Chérie, ça va aller, chérie, ché... Yeeerk ! » « J'vais t'castrer !! Donnez-moi ça ! » « Non, non, écoutez-moi, il faut se concentrer... » La sage-femme éloigna de la future maman la tablette et les scalpels. « Mais pourquoi ?! Tuez-moi maintenant qu'on en finisse ! » « Chérie ! C'est le plus beau jour de... » « Haaaaaa ! Mais arrête cette caméra !! » « ...Ta vie... » Le nouveau papa tenta de jeter un coup d’oeil vers l'utérus de sa femme et tomba dans les pommes, sur le carrelage froid de la salle d'accouchement. La caméra trouva le sol à son tour, mais la LED rouge clignotante indiquait que l’appareil était toujours en train d'enregistrer cette triste guerre. Il est bientôt 4h du matin quand Ashton Colleen Ryder pousse son premier cri. Il est 4h01 du matin quand sa mère la prend pour la première fois contre elle. Il est 4h02 du matin quand son père se reçoit un verre d'eau froide sur le visage afin qu’il observe ce paysage bien plus paisible depuis quelques instants.

30 AVRIL 1991.
Toute de orange vêtue, Ashton descend pour la première fois dans la rue. La Fête de la Reine est une affaire nationale et ses parents tiennent à lui inculquer de bonnes valeurs. Les amoureux et leur fille s'étaient rendus, comme chaque année, dans les rues de la ville afin de célébrer, la boisson nationale en main.

En grandissant, Ashton se rendit bien compte que ses parents n’étaient pas « normaux ». Pourquoi sa mère la laissait choisir ses vêtements à l'âge de 4 ans ? Pourquoi son père ne lui répondait que par des paroles bien trop philosophiques pour qu'elle comprenne un traitre mot de ce qu'il racontait ? Pourquoi les parents de ses petits copains de l'école soupiraient à chaque fois qu'elle rentrait chez elle. Chez elle, juste au-dessus de l'enseigne jaune criarde, des feuilles vertes et une écriture marron ? Parce que les Ryder étaient propriétaires d'un coffee shop et que ça ne plaisait pas à tous, tout simplement. Blonde comme sa mère, les yeux de son père, son propre caractère mêlant chacun des mauvais côtés de ses parents, Ashton s'évadait en regardant par la fenêtre de l'école. Elle observait les canaux et un jour, à l'heure de la récréation, elle piqua une petite barque et s'en alla. Comme ça. Amsterdam n’était pas une ville sûre ? Mmm... Faux. Elle fut obligée de s'arrêter et de descendre de son embarcation parce qu'elle était rentrée dans un jardin flottant. Le propriétaire, un vieil homme bien gentil, l'aida à retourner sur la terre ferme. Elle avait neuf ans à l’époque et retourna à l'école. Comme si de rien était. Mais la directrice avait remarqué son absence, la cour de récréation était bien trop calme et Ashton retrouva son père et sa mère. Assise en face du grand bureau de la directrice, Ash expliqua son envie d'évasion avec un aplomb et une audace incroyable. Elle récupèra son petit sac à dos rose et partie avec ses parents pour le reste de la journée. Personne ne pipa mot, la famille se rendit au zoo et on lui paya une glace à la fraise, sa préférée. C'est un piège, sauve-toi ! lui cria son cerveau. Mais elle resta, s'installa sur un banc et sa mère se mit à genoux en face d'elle. « Alors... tu es partie ? Comme ça ? » Un oui de la tête suffit comme réponse. Sa glace était plus importante. « Mais, tu as pas eu peur ? Tu... tu connaissais le chemin ? » Oui, oui, évidemment que je connais le chemin, c'est quoi ces questions idiotes ? Une nouvelle fois, elle fit oui de la tête. « Chérie, il faut pas faire ç... » Commença le père. « Notre fille est merveilleuse ! » S'écria la mère, faisant sursauter la petite, le mari et les pigeons d'à côté. Elle posa ses deux mains sur les épaules d'Ashton et finit par la câliner. La glace transformée en compote entre les doigts de l'enfant, servit également de décoration sur les deux tee-shirts des filles Ryder.

NOEL 1997, BELLE-FLEUR.
La petite blonde est comme ses parents ; cool, posée et relax. Elle plane avec son père et elle peut maintenant répondre de la même façon à ses discours incompréhensibles. La famille est bien, on lui raconte des tas d'histoires folles. Sa mère lui montre même la vidéo de sa naissance, lui explique comment elle a broyé le bras de la nurse et comment son père s'est retrouvé avec cinq points de suture au-dessus du sourcil à cause d'une blague ratée à un nouveau père dans l'un des couloirs de la maternité. Pourtant, Ashton grandit bien. Elle trouve son style, qui fait râler certains de ses profs, mais qui lui permet de se faire respecter dans la cours de l'école. La petite bande de brunettes ne vient pas l'emmerder à cause de ses mèches bleues, de son sac à dos pleins de pin's et de ses milliers de bracelets en tout genre autour de ses poignets. Solitaire dans l'âme, Ashton se fiche pas mal d'être entourer par une bande d'ami. Elle ne compte pas parler garçon et maquillage avec d'autres filles de son âge, ça ne l'intéresse pas. Une fois devant chez elle, elle rentre dans le coffee shop, salue les habitués d'un signe de la main et rejoint les escaliers. Elle a quatorze ans et, après la fermeture du bar, ses parents lui demandent de redescendre. « Ca te dit d'essayer ? » Son regard passe du joint, à ses parents. Attention, c'est peut-être un test. Son père lui explique qu'ils préfèrent qu'elle essaye avec eux plutôt qu'avec des inconnus. Elle haussa les épaules, son père parti chercher trois menus au fast-food du coin et elle partagea un joint avec ses parents. Normal. Ses parents étaient quand même bien timbrés et peut-être que les autres parents de l'école avait raison. Mais elle les aimait et ne changerait de famille pour rien au monde.

2004, ANNEE LYCEE.
Le changement d’établissement ne semble pas perturber Ashton, toujours fidèle à elle-même, la blonde fuit la compagnie de ses camarades. Installée seule à une table en fer, son repas ouvert devant elle et un casque sur les oreilles, Ashton ne comprend pas bien quand une bande de quatre filles de sa classe vint prendre place à côté d’elle. Doucement, sans faire de gestes brusques pour ne pas les exciter, elle met son casque autour de son cou et tente de suivre cette conversation bien trop fille pour elle… Et tous les jours, c’est la même chose. Où qu’elle s’installe, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, elles retrouvent toujours Ashton. Tous les ragots du lycée sont passés au peigne fin, les looks sont analysés minutieusement, les coupes de cheveux sont étudiées presque scientifiquement. Le sujet « garçons » tient la part la plus importante dans ce groupe. Les mois passent et rien ne bouge, Ashton finit par s’habituer à la présence des quatre filles, qu’elle appelle maintenant « amies ». Entre deux cours, Ashton s’échappe, pendant que les filles se retrouvent au QG –les toilettes du troisième- la blonde attrape son sac à dos et rejoint le garage à vélo. Régulièrement, elle s’octroie une absence. Elle prend sa journée, sans prévenir personne. Heureusement, quand ses parents l’apprennent, ils ne sont pas chiants, ils inventent des excuses plus farfelues les unes que les autres pour le CPE, mais ne la punit pas puisque les notes restent satisfaisantes, ils la laissent faire… Avant de défaire le cadenas de sa monture, Ashton se roule un joint, qu’elle place sur son oreille le temps de se préparer à partir. Puis elle rejoint ses coins favoris de la ville. Toujours accompagné d’un livre, elle passe prendre un casse-croute dans une épicerie et passe la journée allongée dans l’herbe, musique sur les oreilles, toujours. La journée passe et elle rentre faire ses devoirs pour le lendemain. Normal.
« Il te plaît ? » Quatre paires d’yeux convergent vers elle et Ashton plonge dans sa boisson pétillante. « Non. » « OMG ! Il te plait ! » Ses quatre amies s’excitent, comme elles en ont l’habitude dès que l’une d’entre elle flash sur un garçon. Pendant que ses amies s’imaginent déjà le futur, Ashton relève les yeux vers ce bad-boy, les cheveux mi-longs, les yeux sombres, une casquette visée sur la tête en permanence. Il est dans une autre classe que la sienne, mais de la même année. Elle lui a déjà parlé au garage à vélo, il voulait du feu pour s’allumer une cigarette. La sonnerie annonce le début des cours de l’après-midi et les lycéennes se rendent en salle d’examen, faire ce fichu devoir de mathématiques.

AOUT 2007, LE DEPART.
Pendant une année entière, Ashton file le parfait amour avec LE bad-boy. Ils sont tellement bien assortis que tout le monde connait ce couple. Partageant la même passion pour la musique, Ashton assiste aux concerts de son petit-ami. En avril 2007, la veille de la fête de la Reine, la plus grande célébration de la ville, le concert le plus important de l’année, ses parents l’attrape au vol dans le coffee shop. « Chérie, vient. Tu penserais quoi si on déménageait ?» Ashton ralentit le pas et se tourne doucement vers ses parents installés autour d’une table. « Répond Ash’… » La blonde cherche dans les yeux de ses parents le moindre signe d’un sourire, d’une blague idiote… Mais elle ne trouve que leur sérieux. Alors qu’ils ne sont jamais sérieux, Ashton s’inquiète. « On va vivre à Belle-Fleur. » Ryder se contente d’un oui de la tête, attrape son sac à dos qu’elle jette sur ses épaules et enfourche son vélo pour partir le plus loin possible. Belle-ville, ses grands-parents vivent là-bas, elle y est allée cinq fois dans sa vie. Sa vie. Sa vie est ici, à Amsterdam, elle ne peut pas la quitter. Elle ne peut pas quitter son bad-boy. Ni même ses amies. Arrivée au port, après avoir pédalé comme une folle à travers la ville, Ashton s’assoit, observe l’horizon et pleure à chaude larme. A force de réfléchir, d’imaginer toutes les solutions possibles, Ashton conclue que ses parents font ça pour une raison particulière. Eux aussi aiment cette ville, ils ne la quitteraient pas sans une bonne raison. La blonde termine sa journée dans l’appartement de son petit-ami et se réveille le lendemain, sans lui avoir adressé la parole. Heureusement, il n’est pas plus bavard qu’elle, mais il sait que quelque chose cloche, il a tout de même la gentillesse de ne pas poser de question. Enroulée dans le drap, Ashton regarde par la fenêtre et observe la marée orange envahir déjà les rues. Les semaines passent, les mois passent et dans deux semaines, le grand départ. Elle n’a toujours rien dit, mais ses parents ont lâché la nouvelle à son bad-boy il y a un mois, depuis, il ne la quitte pas une seule minute. Aujourd’hui, elle a demandé à ses amies de la rejoindre au lycée normalement fermé, mais une barrière est si simple à escalader. Assise à la table, là où elles se sont rencontrées pour la première fois, elle explique la nouvelle et toutes les filles se mettent à pleurer. Toutes, même Ashton.

Valises prêtes et déjà envoyées aux Etats-Unis, Ashton boit un dernier verre avec ses amies, passe une dernière nuit avec son premier amour. Une relation longue distance semble être inconcevable pour eux, l’un et l’autre le savent bien. Le lendemain, Ashton s’envole en compagnie de ses parents pour une nouvelle vie. Les Ryder sont bien plus calmes que d’ordinaire, les parents n’ont toujours pas expliqués les raisons de ce départ, mais étant donné que la blonde n’a pas posé la question, elle n’attend pas vraiment.

BELLE-FLEUR
L'arrivée n'a pas été des plus simples puisque Ashton est plus habituée aux fêtes des centres villes qu'au calme plat d'une petite ville. Elle eut un petit mois pour s'habituer à cette version de la vie avant d'entamer sa dernière année au lycée du coin. Fidèle à elle-même, Ashton ne se mêle pas aux autres, évite soigneusement les meneuses de claques et autres footballers. Elle évite également de se rendre trop souvent aux cours de sport et oublie parfois qu'elle a une classe de chimie un jour sur deux. Les mois passent et Ashton se fait discrète, malgré tout, elle passe pour l'animal de foire, celle qui parle anglais avec l'accent le plus prononcé jamais entendu en ville. Ses parents lui apprennent finalement, en milieu d'année scolaire, la raison de leur départ. Sa grand-mère est malade et très bientôt, elle ne sera plus là. Le grand-père ne pouvant pas rester tout seul, il fallait que sa mère rentre au bercail. Tous les jours durant toute l'année, Ashton, ses amies et son bad-boy restent en contact grâce à ce bijou de technologie qu'est Facebook. Finalement, l'année passe, les examens également et Ashton reçoit son diplôme à l'américaine. Toge et chapeau bordeaux, la blonde a bien du mal à se sentir à l'aise. Elle retrouve ensuite ses parents au restaurant du coin, comme pratiquement toutes les autres familles de la ville. Ryder se contente de l'Université du coin et de suivre un parcours banal en journalisme. Elle fait même des efforts pour discuter avec les gens de sa promotion et participe aux soirées avec ces-mêmes gens. Pendant l'année, Ashton fait tout pour mettre de l'argent de côté pour s'offrir un billet d'avion dans sa ville d'origine, ses parents participent même en lui offrant la moitié. Deux années de suite, pendant les deux mois d'été, elle rentre au bercail, retrouve tout le monde et vit chez son bad-boy. Mais à chaque fois, l'été se termine et à chaque fois, Ryder doit repartir. Depuis qu'elle est diplômée, Ashton travaille dans ce vidéo-club, le propriétaire semble vivre dans son monde, tout comme elle. La vie à Belle-Fleur n'est pas aussi nulle qu'il n'y paraît et après huit ans, Ashton l'avoue, elle aime bien vivre ici.

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